Interview sur les résultats des élections communales

Publié le par Aden Omar Abdillahi

 

Les élections communales de janvier et février 2012 se sont soldées sur la victoire des listes indépendantes du Rassemblement pour l’Action, la Démocratie et le Développement (RADD) dans les communes de Balbala et de Boulaos et la défaite des listes de l’Union pour la Majorité Présidentielle (UMP). Nous avons voulu questionner à ce propos Monsieur Aden Omar Abdillahi, chercheur à l’Institut d’études politiques et stratégiques du Centre d’étude et de recherche de Djibouti, pour qu’il nous livre ses impressions et son analyse.

 

  1. Quelles impressions vous inspirent, de façon générale, le déroulement de ces élections communales ?

 

Les multiples acteurs (gouvernement, candidats et électeurs) qui intervenaient dans ces élections ont chacun de leur côté joué leur partition de manière très correcte. Tout d’abord, il faut saluer le travail exemplaire du ministère de l’intérieur et de la commission électorale mais aussi le courage politique manifesté au sommet de l’Etat djiboutien qui ont permis un déroulement serein et démocratique du début de la campagne jusqu’à la proclamation des résultats du second tour. Sans cet engagement politique et administratif, les conditions d’une élection libre et démocratique n’étaient pas réunies à priori et peut-être même que l’issue aurait été tout autre. Donc, les institutions publiques ont scrupuleusement respecté les règles édictées en la matière. Ensuite, les candidats, tous jeunes et novices dans l’arène politique, ont mené dans l’ensemble une campagne électorale inédite, intense, assez professionnelle et digne sans trop d’attaques personnelles. Enfin, la population de la capitale a montré une ferveur et un engouement, assez rares tout de même, pour la chose politique et son comportement dénotait une curiosité nouvelle pour la politique. Elle s’est mobilisée dans les différents quartiers de la capitale et a accueilli favorablement les candidats en campagne. Par conséquent, ces élections ont pu se dérouler dans un climat apaisé et sportif.

 

  1. Que dire du dénouement et comment expliquer ces résultats invraisemblables ?

 

La tendance du premier tour s’est inversée au second et les électeurs ont changé d’avis en votant massivement pour RADD car le taux de participation n’a presque pas évolué et est resté aux alentours de 40% pour chacun les deux tours. C'est-à-dire que sans modification du nombre d’électeurs durant les deux tours, RADD s’est imposé au second tour en ralliant de façon habile les mêmes qui avaient voté à l’UMP au premier tour. L’UMP a payé de son assurance, de l’arrogance et de la certitude de ses étalons qui étaient convaincus de rééditer au second tour leur succès du premier. Le cours des événements a radicalement changé au second tour pour l’UMP où ses barons ont déserté les meetings. Leur participation au premier tour était de toute façon contestable à tous points : il s’agit d’élections locales et par conséquent il est normal qu’ils observent un fair-play politique et évitent l’implication des autorités étatiques. Ce que n’ont pas manqué de signaler les candidats de RADD car ils biaisaient le jeu démocratique. Heureusement, qu’au sommet de l’Etat, il a été donné consigne, dans l’entre deux tours, du retrait total des ministres et parlementaires. De plus, ils ont fait de l’ombre aux véritables candidats de l’alliance UMP pour ces élections.

En revanche, RADD a mené une campagne franche, directe et au corps à corps avec la population djiboutoise. Aucune pression ou instruction d’une quelconque autorité ne pesait sur leurs épaules et cela leur a permis de déployer librement leur stratégie de campagne. Les candidats de RADD ont su trouver le tempo adéquat, utilisaient un langage simple, réaliste et mieux parlant aux gens. Ils ont démontré un esprit d’équipe complémentaire qui se voyait à travers les meetings lors des prises de parole successives de ses candidats. Ils se sont rapprochés des électeurs et ont semblé plus à même de les écouter et de comprendre leurs doléances. En effet, ils ont réellement atteint une bonne vitesse de croisière et acquiert une confiance totale que dans la deuxième moitié de la campagne du second tour. RADD s’est mis en osmose avec la population en donnant l’impression de partager leurs difficultés quotidiennes. Et franchement, sa victoire éclatante n’est pas volée.

 

  1. Quelle portée politique ont ces résultats et comportent-il un quelconque message politique ?

 

C’est seulement la deuxième fois qu’ont eu lieu de telles élections. La première fois était vraiment expérimentale, à la limite de l’ennui et de l’indifférence. Mais les présentes ont galvanisé la foule et réveillé son intérêt surtout qu’elles opposaient la mastodonte politique qu’est l’UMP à quelque chose qui n’existait pas encore il y a deux mois dont personne ne donnait cher de sa solidité et ne pronostiquait guère un hypothétique succès électoral. Par ailleurs, ce sont avant tout des élections communales dont l’objet central est le choix du futur maire de la capitale aux compétences bien limitées au regard de notre tradition politique centraliste qui consacre la prépondérance du ministère de l’intérieur en dépit de la répartition juridique des attributions.

Cependant, comme tout le monde le sait, chaque élection se déroule dans un contexte politique particulier, reflète un état d’esprit momentané des électeurs et véhicule un message politique adressé aux autorités en place. C’était un contexte dessiné par le sursaut démocratique dans le monde arabe, les élections présidentielles de 2011, la formation d’un nouveau gouvernement sensé porter un changement et le vœu du Chef de l’Etat de quitter le pouvoir en 2016. Par conséquent, ces élections ont été l’occasion, pour les électeurs, d’adresser au gouvernement un triple message politique :

-              ils ont voulu comprendre que leur adhésion n’est pas systématique et devrait se mériter. Cela se constate à travers l’inversement de la tendance des votes entre les deux tours.

-              ils ont exprimé leur volonté de changement et leur lassitude en voyant toujours les mêmes individus aux commandes de tous les leviers du pouvoir politique.

-              Enfin, il s’agit bien d’un vote sanction contre une certaine apathie politique et une inertie totale de la part du gouvernement de ne plus être en mesure de répondre à leurs attentes sur le terrain économique et sociale. Ils ont cherché à délivrer un message d’avertissement tout en sachant qu’ils n’atteindront certainement pas leurs buts à travers un scrutin local. Mais gare aux prochaines échéances électorales. L’équation : élections locales=enjeux locaux, n’est pas toujours vérifiée.

 

  1. Quel avenir politique se dessine pour RADD ?

 

Pour RADD, cette aventure ne s’arrêtera certainement pas à la porte de la mairie de Djibouti. Ses principaux dirigeants ont clairement fait savoir qu’ils ne se conteront pas de leur récente victoire. Ils sont prêts à capitaliser sur la dynamique de ces résultats et à transformer l’essai politique, qui a déjà porté ses fruits au niveau local, en un projet d’envergure nationale. Ils ont de l’ambition et les circonstances actuelles leurs donnent amplement raison. Ce serait insensé, regrettable pour la démocratie djiboutienne et contre toute logique politique de s’arrêter en si bon chemin pour ceux-là même qui ont su persuader et attirer, à travers ces élections locales, le deux tiers de l’électorat national qui se trouve concentré dans Djibouti-ville. Remarquez que la circonscription électorale de Boulaos représente à elle seule le tiers des électeurs de la république de Djibouti. Alors si on ajoute la circonscription de Balbala, on arrive très vite à près de 67% des électeurs djiboutiens. Dans ce cas, nous voyons aisément le poids électoral phénoménal dont dispose RADD pour l’instant et son potentiel politique.

Par conséquent, ne vous étonnez pas dans les mois à venir si RADD, petite liste indépendante inconnue conduite par des inconnus, se métamorphose en un parti politique officialisé en mesure de participer aux prochaines échéances électorales, mais nationales cette fois. Enfin, RADD a créé un précédent historique et a mis en marche quelque chose de nouveau et de frais dans le paysage politique national. Et Abdourahman « TX » est probablement aujourd’hui l’homme politique montant le mieux désiré. Mais, désormais, RADD sera sous les feux des projecteurs et devra prouver et démontrer ses capacités en matière de gestion des affaires publiques locales dans un l’avenir immédiat. Ils seront jugés sur leurs aptitudes à transformer les promesses de la campagne électorale en programmes qui satisfassent les habitants de la capitale. L’expérience politique a souvent montré que gagner le cœur des électeurs lors d’une campagne était difficile mais répondre concrètement aux attentes des citoyens constituait un tout autre défi bien plus coriace que la victoire par les urnes. Ce n’est qu’avec la confrontation avec le réel et l’exercice du pouvoir qu’on fait ses preuves aux yeux de l’électeurs. Créer un parti politique, concocter un projet politique national, trouver les ressources financières à l’animation d’une formation politique et se constituer une base électorale ne sont pas à la portée. Le plus dur reste à faire pour RADD. Alors, RADD : phénomène politique instantanée ou véritable projet politique ? L’avenir, seul, nous le dira.

 

  1. Et quant à l’UMP, quelles sont les perspectives qui s’offrent à elle ?

 

L’UMP a été humiliée et il y a fort à parier que cette alliance éclate ou disparaisse de la scène politique nationale. A moins d’un miracle, il serait contre nature politique que le front de cinq partis survive à cet affront électoral retentissant. Les prochaines rencontres au niveau des états-majors de la coalition et les leçons qui seront tirées nous renseigneront certainement davantage sur son avenir politique. Mais dès à présent nous pouvons nous avancer sans grande crainte en déclarant que l’UMP n’est plus qu’un cadavre politique en décomposition et que les vers de terre se délecteront de ses restes. Ce qui est sûr dans cette jungle très sélective de la lutte pour le pouvoir politique, obéissant aux lois de la sélection naturelle de Charles Darwin où les plus résistants, seulement, survivent, l’UMP a été mortellement touchée et on ne voit pas comment elle pourrait ressusciter. 

Mais attention, ne faisant pas l’erreur naïve d’enterrer très vite et très tôt e colosse politique qu’est l’UMP qui comporte, comme même, des partis tels que le RPP et le FRUD qui ont des bases électorales solides, une expérience nationale très profonde, des machines de guerres politiques rodées et les moyens de rebondir assez vite. La messe n’est pas dite de façon définitive pour ces deux partis même si la coalition se disloque suite à ce revers électoral. Le RPP et le FRUD regorgent et ont en stock de bêtes politiques, très appréciées par la population, qui n’ont pas encore dit leur dernier mot. Ils peuvent se révéler à l’avenir beaucoup plus redoutables, plus déterminés et plus vigilants que par le passé.

Il n’est pas impossible non plus, que sur les ruines de l’UMP agonisante voit le jour une autre coalition plus robuste mais plus souple en terme de composition autour d’un nombre restreint de partis en se débarrassant des maillons jugés faibles. Les dirigeants de l’UMP décideront, sans doute, de faire le grand ménage en lavant le linge sale en famille mais doivent surtout se mettre en ordre de bataille. Sinon, toute chose égale par ailleurs, la présente défaite ne sera que le début d’une royale déroute politique face à ce qui pourrait leur advenir dans les futures compétitions électorales nationales.

Publié dans Politique

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